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autoportrait
en écriture

bio

 

Demain il faudra écrire, c’est le jeu de l’atelier d’écriture auquel elle s’est inscrite sur un coup de tête, en croyant je ne sais quoi.

Et c’est tout à fait elle : elle se met dans tous ses états au coucher, avec le cerveau calé sur le mode « résolution de problème », au lieu de s’endormir pour écrire sagement au réveil. Elle sait que pour écrire elle a besoin de ressasser, de laisser infuser les idées, de les envisager sous divers angles, et cela ne peut se faire en vitesse. Et là, il faut écrire. Pourtant, elle a bien évité de finir l’épisode de sa série en cours, prenant plutôt son livre jusqu’au premier bâillement. Puis éteindre.

 

Minuit : Le mouvement des globes oculaires s’agite encore. Les mots roulent dans sa tête comme les cailloux dans le ressac, en s’entrechoquant. Elle ressasse les questions suspendues.

 

1h30 : Même si on lui répète (les amis, les écrivains... ) qu’il faut écrire pour soi, pas pour les autres, il faut quand même écrire pour un lecteur. Est-ce que cela peut intéresser quelqu’un de savoir que petite fille de sept ans, elle écrivait des poèmes, et les « publiait » à la main avec la patience d’un moine copiste, pour les diffuser à sa famille ? Pourquoi raconter cela, alors qu’elle ne supporte plus Arnaud Laporte, qui demande depuis des années à chacun.e de ses invité.es de 19h : Alors dans votre enfance, qu’est-ce qui vous a orienté vers… ? Non, cela n’intéresse personne. Chacun sa vie, et l’enfance n’explique rien. Il faut trouver autre chose.

Elle se retourne encore en essayant de ne pas trop s’emberlificoter dans les draps. Elle aimerait tellement dormir. Tentons une respiration en carré : 4 temps d’inspire, 4 temps de suspension, 4 temps d’expire, 4 temps de suspension. Ca baille, c’est bon signe. Mais le cerveau continue de chercher.

Est-ce que cela peut intéresser quelqu’un, l’histoire de ces journaux conçus avec les amis, plus tard, ronéotés et distribués dans le cercle des proches, ou dans la rue, en toute simplicité, aux passants ? Ces étapes furent vécues comme des moments extraordinaires, des moments, où elle se sentait grandir. Cela parait bien banal à présent.

Puis, elle a écrit pendant des décennies, des kilos de dossiers de projet, de dossiers de presse, rédigés de la façon la plus simple possible, avec des idées bien organisées. Comme elle l’a appris.

La bonne élève.

Une idée par paragraphe.

Bien différencier le projet artistique et le projet culturel.

L’objectif et les moyens…

La France est le pays de la rhétorique, et un document clairement rédigé est un pouvoir qui permet d’avoir un poste, ou de l’argent.

 

3h : Toujours là, et toujours pas dans cet ailleurs désiré du sommeil. Surtout ne pas s’énerver. Essayer la respiration avec la narine gauche, en bouchant la droite ?

Est-ce que cela peut intéresser quelqu’un de savoir qu’elle a écrit des kilomètres d’articles sur l’art, souvent sous la pression d’un bouclage, - à l’époque, cela ne l’empêchait pas de dormir. Des dizaines préfaces de catalogues, en échange d’œuvres ou d’argent ? Ecrire sur, écrire pour (les artistes), écrire avec. Des textes qui sont presque à quatre mains, puisque le sujet, l’atmosphère, et l’émotion lui sont donnés par l’autre sur lequel elle se concentre. Elle a fait son miel de tout ce qu’il donne.

 

3h30 : Elle dégage sa couverture d’un mouvement de pieds. Elle réalise qu’elle n’est plus celle qui fait ça il y a vingt ans, trente ou cinquante ans. Elle n’est ni l’enfant, ni l’étudiante en khâgne qui plongeait avec délices dans les dissertations de sept heures, ni la jeune adulte qui écrivit laborieusement en trois jours une nouvelle érotique pour un homme qui lui plaisait. Ces versions d’elle-même ne sont plus des JE, ce sont des ELLES. Elles l’ont constituée, mais on n’est JE qu’au présent. Il faudra qu’elle s’en souvienne demain, pour l’écrire.

 

4h : Cela lui apparaît dans son demi-sommeil comme une lumière: la seule chose qui peut intéresser le lecteur, l’attacher, c’est la sincérité. C’est une évidence, mais une évidence tout entière à remplir…

 

4h30 : Elle réalise que dans ses textes actuels, elle se cramponne à l’art comme à un garde fou. L’art et la vie, un entre-deux, dans lesquels le commentaire sur les expositions lui permet de parler d’elle. Un masque, un pré-texte.  Cette étape intermédiaire est-elle révolue ? Oui, c’est une certitude, lui faudrait lâcher la rampe.

Lâcher.

Elle s’endort.

Claire Peillod a dédié sa carrière à l’art contemporain et à sa diffusion,  d'abord comme critique d’art et enseignante en Ecole Supérieure d'Art, puis comme programmatrice et commissaire d'expositions. Elle crée la BF15, un artist run space à Lyon, avec un groupe de graphistes, qu'elle pilote jusqu'en 2004.  Elle a dirigé les Ecoles Supérieures d'Art de Reims et de Saint-Etienne de 2005 à 2020, puis est revenue à ses premières amours : écriture et programmation artistique et culturelle.

Elle a publié deux ouvrages sur son activité :  La BF15 éd la BF15, 2004 et Nocturnes urbains éd La passe au vent, 2006, qui rend compte de sa direction artistique de la Fête des Lumières en 2003 et 2004.

Elle est aujourd'hui consultante en arts visuels, et expert pour le DLA. Elle accompagne notamment des structures associatives dans leur développement artistique et culturel.

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