top of page
vue atelier kim.jpg
  • Facebook
  • Twitter
  • LinkedIn
  • Instagram

Visites d'ateliers

La visite d'atelier est un moment important pour celui qui regarde comme pour celui qui crée, un moment de rencontre,  personnel et   intime.

Les textes ci-dessous rendent compte de la création comme de la rencontre.

KIM N KOSIAHN
visite d’atelier à Saint-Bonnet le Château,
le 13 février 2023

foret.jpg

Renvoyer les pierres à ceux qui les lancent,

Traverser l’océan dans l’autre sens,

Eponger le sang et le chagrin.

Trois installations.

Un éboulis blanc, immaculé, de pierres en plâtre.

Un océan de bateaux en papier, de la taille d’une main d’enfant, aux subtiles variations de couleur issues de leur matière vietnamienne : cahiers d’écoliers, bordereaux de comptabilité, courriers, emballages.

Une immense vague rouge de carrés tricotés au point mousse et assemblés sommairement. Les rouges sont variés, comme des sangs mêlés, et baignent ce drapeau immense et pitoyable. Un second tricot, blanc de même taille, environ 100 mètres carrés, l’accompagne de sa couleur de deuil.

 

Nous sommes saisis par l’ampleur de l’emprise spatiale qu’ont ces œuvres pouvant occuper de cent à mille mètres carrés selon l’espace qui les accueille. Chacune traverse l’histoire de l’artiste franco-vietnamienne, Kim N Kosiahn, dont la vie s’est trouvée au cœur du trauma collectif vietnamien, de guerres en guerres et jusqu’à l’abandon d’aujourd’hui. Une histoire universelle des malheurs humains, que les objets portent avec eux, comme la portent les esprits et les corps. Les paradoxales pierres en plâtre évoquent son innocence d’enfant eurasienne de la campagne, qui esquivait les cailloux jetés par ses camarades. Kim était trop différente. Le tricot blanc tente de recouvrir le chagrin qui n’a pu être signifié : la famille était trop pauvre pour qu’elle porte le vêtement blanc approprié à l’enterrement de son frère, mort à l’armée.  Les bateaux en papier par milliers, semblables et différents, dessinent des courants marins par leurs subtiles variations. L’occident découvrait en 1975 la déferlante des boat people et son lot de tragédies maritimes, auxquelles la version contemporaine des traversées de méditerranée n’a rien à envier. Les bateaux de papier ont été confectionnés par la famille et les voisins restés au village. Ils ont aussi tricoté la laine rouge et la laine blanche à sa demande. Une façon pour elle, partie à l’adolescence pour la France, où elle a reçu l’éducation et les outils d’une émancipation qui leur fait défaut, de donner un peu de moyens pour survivre à ceux qui sont restés.

 

Plus qu’une installation, chaque oeuvre est un acte. Chacune se donne la possibilité de renverser symboliquement le sens des choses : renvoyer les pierres à ceux qui les lancent ; traverser l’océan dans l’autre sens ; éponger le sang. Il s’agit de faire retour, comme on le dit en psychanalyse. Ce n’est pas un retour passif, automatique, mais le retour décalé qui répare. Le geste artistique devient un geste politique puissant et d’une minutieuse délicatesse. La force du déploiement dans l’espace, et la fragilité de l’objet qui tient dans la main. La multiplication des éléments embarque une communauté dans l’action artistique individuelle. L’attachement de Kim N Kosiahn au nombre, à la prolifération, résonne comme la reconnaissance d’une individualité, minuscule et fragile, dans la foule des semblables. Une parmi tous. Elle les a quittés, mais elle est cependant restée l’une d’entre eux. Etre artiste est une autre façon de faire partie d’un ensemble, et d’être à part. Une façon d’être un numéro, un objet d’un grand tout, et un acteur puissant pour le collectif. Ce n’est pas le sujet politique qui rend l’oeuvre politique : c’est le geste, sa force symbolique et sa puissance émotionnelle.

 

La peinture de Kim N Kosiahn, que l’on peut qualifier d’abstraite, est travaillée à partir de la gestuelle, les lavis, et les accidents que l’on trouve dans une large tradition asiatique. Les gris bleutés, les verts et les marrons dominent une palette fluide et brumeuse rehaussée parfois de touches fluorescentes roses ou jaunes. Ce sont des couleurs de paysage. Ici, les environnements humides de l’Asie des moussons sont remplacés par le paysage du Haut-Forez, où elle a choisi de vivre depuis quelques années. Nous y retrouvons le vert et noir des forêts de sapins, les couleurs bleutées des montagnes qui s’étagent à l’infini, et ces langues de neige étincelante qui subsistent en ce mois de février, ça et là à l’abri des talus. Le vert fluorescent d’une mousse de sous bois dans un rayon de soleil sera notre cadeau de la promenade du jour. Sa peinture fait aussi le pont par dessus l’océan, vers une histoire plus occidentale, bien qu’elle-même nourrie d’Asie, du côté de Hartung, Tapiès, Richter… On la trouve dans les matières, les raclures, le minimalisme parfois. Elle pose ici aussi la question fondamentale pour elle du retour à l’envoyeur. Comment traverser personnellement le pont entre les deux continents qui sont siens, entre les deux traditions picturales, bien qu’interdépendantes depuis le XXème siècle ? Comment son éducation artistique occidentale laisse place à son Vietnam, même s’il est dominé par la puissante peinture chinoise ? Comment poser cette question aujourd’hui, dans une mondialisation ravageuse ? Qu’est-ce que l’on peut rejouer ?

Tout est ici art de l’équilibre, travaillé minutieusement tableau après tableau. Il faut prendre le temps de la contemplation, car aucune figuration ne nous happe, jusqu’à ce que le tableau se lève, comme disait le grand historien Daniel Arasse. Le spectateur reçoit alors une récompense jubilatoire, une immense satisfaction. Joie et apaisement. A quoi cela tient-il ? Je crois que la peinture abstraite repose sur un empêchement : celui de reconnaitre des formes familières dans les formes proposées, comme une pareidolie suspendue. Nous jouissons de cet état de suspension, où des formes bien présentes et bien stables échappent toujours à l’ordonnancement dans lequel notre cerveau voudrait les placer afin de reposer les pieds sur terre et se rassurer. La peinture nous maintient dans ce suspens.

 

Une question demeure. Comment éclairer le lien entre les deux aspects de son travail artistique : installations et peintures ? Il y a bien sûr une constante dans la saisie de l’espace à bras le corps : l’étalement de la peinture sur les toiles, la place prépondérante des fonds blancs, les transparences diverses qui ménagent le vide, sont tout aussi audacieuses que les grands volumes. Il me semble qu’aujourd’hui – car l’aventure artistique est loin d’être achevée – l’artiste se ménage deux espaces : celui de l’affrontement, de l’action politique, et celui du l’apaisement et du soin. Affronter la réalité, signifier le trauma, et s’offrir le bonheur de la suspension, et la sérénité. C’est tellement humain, qu’au final, on ne peut imaginer l’un sans l’autre.

peintur kim _edited.jpg
peintre kim_edited.jpg
bateaux.jpg
bateaux mer_edited.jpg
cailloux.jpg
rouge.jpg
bottom of page